Le gouvernement devra rendre des comptes pour l’adoption de lois inconstitutionnelles
OTTAWA — La Cour suprême du Canada affirme que les gouvernements peuvent être tenus de payer des dommages et intérêts pour avoir adopté des lois inconstitutionnelles.
Dans un jugement prononcé vendredi, la majorité du plus haut tribunal a déclaré que les gouvernements avaient une responsabilité limitée pour les lois jugées contraires à la Charte.
Cette décision ouvre la voie à un Néo-Brunswickois pour poursuivre le gouvernement fédéral à propos de deux lois adoptées par l’ancien gouvernement conservateur en 2010 et 2012.
Joseph Power a été reconnu coupable d’infractions criminelles dans les années 1990, a purgé une peine de prison, puis est devenu technologue en radiation médicale.
Il a été suspendu de son travail en 2011 lorsque son employeur a eu connaissance de son casier judiciaire, et il a demandé une grâce en 2013, mais celle-ci lui a été refusée.
Les changements législatifs introduits par les conservateurs fédéraux et appliqués de manière rétrospective l’ont rendu définitivement inadmissible à une grâce et il a perdu son emploi. Power a affirmé que son casier judiciaire l’empêchait de travailler dans son domaine.
Cependant, certaines parties de la loi autorisant une application rétrospective ont par la suite été déclarées contraires à la Charte canadienne des droits et libertés.
M. Power a intenté une action en justice pour obtenir des dommages et intérêts, alléguant que l’adoption et l’application de la loi constituaient une conduite manifestement répréhensible, entreprise de mauvaise foi et abusant du pouvoir gouvernemental.
L’importance du privilège parlementaire
Avant le procès, le procureur général fédéral a demandé si la Couronne pouvait être tenue responsable des dommages et intérêts pour la rédaction et l’adoption d’un projet de loi qui s’est révélé par la suite inconstitutionnel.
Un juge a statué qu’il pouvait y avoir une responsabilité dans certaines circonstances, et la décision a été confirmée par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick. Le procureur général fédéral a ensuite porté l’affaire devant la Cour suprême.
L’affaire impliquait une longue liste d’intervenants comprenant des provinces, plusieurs Premières Nations et les présidents de la Chambre des communes et du Sénat.
La Cour suprême a jugé que les gouvernements peuvent être tenus responsables de lois manifestement inconstitutionnelles, de mauvaise foi ou constituant un abus de pouvoir. Cette barre haute est en place depuis plus de deux décennies.
«En mettant le gouvernement à l’abri de toute responsabilité même dans les circonstances les plus graves, l’immunité absolue contournerait les principes qui exigent la reddition de comptes par le gouvernement», ont écrit le juge en chef Richard Wagner et le juge Andromache Karakatsanis au nom de la majorité.
La décision souligne l’importance du privilège parlementaire dans la démocratie canadienne, affirmant qu’il donne aux législatures les outils dont elles ont besoin pour remplir leurs fonctions essentielles, par exemple en garantissant aux législateurs la liberté d’expression nécessaire pour faire leur travail sans crainte de responsabilité.
Cependant, écrivent les juges Wagner et Karakatsanis, l’action de Joseph Power est dirigée contre l’État et non contre des membres individuels du Parlement.
«La responsabilité de l’État pour une loi inconstitutionnelle ne met pas en jeu l’immunité personnelle des membres à l’égard des discours parlementaires. Elle n’entrave pas non plus le pouvoir du Parlement de contrôler ses propres débats et travaux, ni ne dicte la manière dont la fonction législative est exercée.»
La décision rejette un argument du procureur général du Canada selon lequel les «catégories reconnues de privilège parlementaire s’étendent de manière à interdire la révision externe de toutes les étapes du processus législatif, ainsi que de tous les discours et les actes des représentants et ministres du gouvernement liés à ce processus, y compris leurs motivations non verbalisées».
La Cour a déclaré que cet argument risquait d’étendre le privilège parlementaire au pouvoir exécutif, «ce qui aurait des conséquences profondes et imprévisibles».
La décision du tribunal ne précise pas si M. Power devrait recevoir des dommages et intérêts, mais lui ouvre plutôt la voie pour poursuivre s’il le souhaite.
Deux juges, Nicholas Kasirer et Mahmud Jamal, ont rédigé une opinion partiellement dissidente, affirmant que la Couronne devrait bénéficier d’une immunité absolue pour préparer et rédiger – mais pas promulguer – une loi inconstitutionnelle.
Les juges Suzanne Côté et Malcolm Rowe étaient totalement en désaccord avec la décision, écrivant que «la préparation, la rédaction et l’adoption d’une loi font nécessairement intervenir le privilège parlementaire, ce qui est fondamentalement incompatible avec la condamnation de la Couronne au paiement de dommages‑intérêts de la manière souhaitée».