Le cardinal Marc Ouellet visé par une action collective pour agression sexuelle
MONTRÉAL — Le nom du cardinal Marc Ouellet apparaît dans une action collective pour agression sexuelle qui vise 88 prêtres du Diocèse de Québec. Selon le document, une jeune femme avait «l’impression d’être pourchassée» par le cardinal qui l’aurait massée, embrassée avec familiarité et lui aurait touché les fesses.
Dans une demande introductive d’instance en action collective rendue publique mardi, une plaignante affirme avoir été agressée sexuellement par le cardinal Marc Ouellet entre 2008 et 2010 et par l’abbé Léopold Manirabarusha entre 2016 et 2018.
Le pape François aurait également demandé d’enquêter sur les agissements du cardinal qui a été nommé préfet de la Congrégation des évêques à Rome en 2010, le premier Québécois à devenir préfet d’une congrégation romaine.
Marc Ouellet faisait partie de la garde rapprochée de Benoît XVI et il avait été pressenti pour le remplacer à la tête de l’Église catholique.
Deux demandes introductives d’instance dans une action collective ont été déposées mardi, celle qui vise le Diocèse de Québec et qui concerne une centaine de présumées victimes et une autre qui implique les Frères des écoles chrétiennes du Canada francophone dans laquelle 193 victimes ont dénoncé avoir été agressées par 116 membres de cette communauté.
Plusieurs rencontres entre 2008 et 2010
La femme, surnommée F., qui avait 23 ans à l’époque, effectuait un stage comme agente de pastorale au Diocèse de Québec.
Après un repas chez les Sœurs de la Charité à Beauport en août 2008, F. a affirmé que le cardinal lui avait massé les épaules et caressé le dos dans une salle de conférence.
«F. demeure figée face à cette intrusion et ne sait pas comment réagir», peut-on lire dans le document.
La présumée victime a ensuite parlé de cet événement avec des collègues.
Lors d’une réception au mois de novembre de la même année, le cardinal Ouellet aurait embrassé F. «avec familiarité, même s’ils ne s’étaient vus qu’une ou deux fois auparavant, et la retient fermement contre lui en lui caressant le dos avec les mains».
«Le cardinal Marc Ouellet lui prend aussi fermement et avec insistance les mains et lui murmure à l’oreille de lui rappeler son nom. Malgré avoir dit à tous qu’ils se connaissaient très bien, il ignore vraisemblablement le nom et le poste occupé par F.», peut-on lire dans le document.
Lors d’une autre rencontre qui a eu lieu dans le sous-sol d’une église, «le cardinal Marc Ouellet profite d’un moment consacré à une discussion en sous-groupe pour traverser la salle et venir s’asseoir à côté de F. qui a l’impression d’être pourchassée. Malgré les efforts de F. de raisonner la situation et même de la tourner en dérision, elle ressent un profond malaise face à la situation.»
La demande introductive d’instance en action collective relate que lors d’une autre rencontre, en 2010, «le cardinal Marc Ouellet lui dit alors que c’était la deuxième fois qu’ils se voyaient cette semaine et qu’il peut bien l’embrasser à nouveau, car « il n’y a pas de mal à se gâter un peu »».
Après ce commentaire que F. trouve «complètement inapproprié», le cardinal Marc Ouellet l’aurait embrassée et aurait glissé «sa main le long du dos de F. jusqu’à ses fesses».
Le document indique que «lorsque F. ose parler du malaise qu’elle ressent face au cardinal Marc Ouellet, elle se fait répondre qu’il est tellement chaleureux et qu’elle n’est pas la seule femme à avoir ce genre de « problème » avec lui».
Le 30 juin 2010, le cardinal Marc Ouellet quitte sa fonction d’archevêque de Québec.
En 2020, après avoir participé à une formation sur les agressions sexuelles, «F. commence à avoir des flash-backs de ce qu’elle a vécu avec le cardinal Marc Ouellet» et comprend que les gestes du cardinal «constituent un attouchement de nature sexuelle non consenti et donc, une agression sexuelle».
Le 26 janvier 2021, la présumée victime écrit une lettre au pape François concernant le cardinal et un mois plus tard, elle est informée que le pape a nommé le père Jacques Servais pour enquêter sur Marc Ouellet.
La demande introductive d’instance en action collective souligne que «le père Jacques Servais semble avoir peu d’information et de formation sur les agressions sexuelles en plus d’être possiblement un collaborateur du cardinal Marc Ouellet» et qu’en date de l’été 2022, «aucune conclusion concernant les plaintes contre le cardinal Marc Ouellet n’a été transmise à F».
Justin Wee, un des avocats qui représentent les demandeurs, a indiqué à La Presse Canadienne qu’en raison de cette absence de réponse de la part du Vatican, la plaignante «peut considérer, et on peut la comprendre, que ce n’est pas pris au sérieux».
Il a ajouté que «lorsque la personne la mieux placée pour mettre en place des politiques pour que des agressions n’aient pas lieu, a des inconduites sexuelles, ça en dit long sur les problèmes du diocèse».
Dans un courriel envoyé à La Presse Canadienne, le Diocèse de Québec a indiqué qu’il prenait «acte des allégations à l’endroit du cardinal Marc Ouellet» et qu’il ne fera «strictement aucun commentaire à ce sujet».
Une centaine de présumées victimes
L’action collective a été autorisée par la Cour supérieure en mai dernier et selon des documents transmis par l’avocat Alain Arsenault, du bureau Arsenault Dufresne Wee Avocats, elle «découle des nombreuses agressions sexuelles commises sur plus de 101 victimes par des membres du clergé diocésain, soit les évêques, les prêtres et les diacres ou des religieux, des membres du personnel pastoral laïc, des employés ou bénévoles laïcs ou religieux sous la responsabilité des Défenderesses depuis les années 1940».
Parmi les présumées victimes, un homme, identifié par la lettre A, affirme avoir «été agressé sexuellement à plus de 500 reprises par l’abbé Jean-Marie Bégin entre 1959 et 1973, alors qu’il habitait l’Orphelinat à Black Lake», un secteur de Thetford Mines.
«Chaque fois que l’abbé Bégin sort A. de l’orphelinat, il l’agresse sexuellement, de sorte que pendant toutes ces années, A. est agressé de façon régulière à de très nombreuses reprises», souligne la requête.
D’autres demandeurs, dont un homme âgé de 65 ans, soutiennent également avoir été agressés sexuellement par l’abbé Jean-Marie Bégin.
Les agressions auraient eu lieu «au presbytère et à la sacristie de l’église de Robertsonville, ainsi que dans un chalet situé à Saint-Joseph de Coleraine, alors qu’il était âgé de 12 ans». Le document juridique détaille ainsi l’une des agressions: «L’abbé Bégin commence à l’embrasser partout avec sa bouche et sa langue, et prend le pénis du demandeur dans sa bouche.» Le demandeur, «qui est alors âgé de 12 ans, ne comprend pas ce qui se passe».
L’abbé Bégin s’est suicidé le 18 septembre 1986, à l’âge de 60 ans.
La requête souligne que les agressions subies par les demandeurs ont, dans certains cas, entraîné «des comportements délinquants autodestructeurs, des problèmes de consommation, des troubles alimentaires et du décrochage scolaire, des tentatives de suicide et plusieurs autres conséquences».
Le cabinet Arsenault Dufresne Wee Avocats demande au tribunal que le Diocèse de Québec et les Frères des écoles chrétiennes du Canada francophone payent à chacun des membres des deux actions collectives «des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, dont le quantum sera à déterminer subséquemment».
L’avocat Justin Wee a tenu à mentionner à La Presse Canadienne «qu’il est important et il n’est jamais trop tard de dénoncer les crimes» et que les victimes «peuvent le faire en contactant notre cabinet».