Marie-Philippe Bouchard, de TV5 Québec Canada, est nommée PDG de CBC/Radio-Canada
OTTAWA — La nomination de Marie-Philippe Bouchard, une dirigeante chevronnée de la télévision québécoise, au poste de présidente-directrice générale de CBC/Radio-Canada s’accompagne de grands défis pour le radiodiffuseur public en difficulté, affirment des observateurs qui soulignent la nécessité d’une confiance renouvelée et d’un modèle de financement remanié.
Marsha Barber, ancienne productrice principale du bulletin de nouvelles phare de CBC, «The National», a confié mardi que le moral était «extrêmement bas à CBC», surtout après que des millions de dollars de primes aux dirigeants ont suivi une série de licenciements. Elle espère un «nouveau départ».
«Il y a eu des pertes d’emplois, des postes vacants n’ont pas été pourvus, les primes ont été une gifle pour les gens qui sont sur le terrain et qui essaient de faire leur travail», a énuméré Mme Barber, aujourd’hui professeure de journalisme à l’Université métropolitaine de Toronto.
Marsha Barber a ajouté que le moral était aggravé par la promesse du chef conservateur Pierre Poilievre de retirer le financement du radiodiffuseur public s’il est élu lors du prochain scrutin fédéral. «En prenant tout cela en compte, un nouveau leadership pourrait signifier que la CBC est mieux positionnée pour un avenir meilleur, si Mme Bouchard tient sa promesse.»
La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a annoncé mardi que Mme Bouchard entamera son mandat de cinq ans au poste de PDG du radiodiffuseur public le 3 janvier 2025.
La vétérane de la télévision francophone remplace Catherine Tait, qui est présidente de la CBC depuis 2018 et qui continue de susciter des critiques à propos des primes versées aux dirigeants et des défis plus vastes liés au rétablissement de la confiance du public envers le radiodiffuseur.
Dans un communiqué, la ministre St-Onge a présenté Mme Bouchard comme une «dirigeante talentueuse et efficace du secteur de la radiodiffusion publique», ayant «fait ses preuves en matière de transformation».
Mme Bouchard a écrit dans le même communiqué qu’elle avait hâte de «tracer la voie à suivre».
Marie-Philippe Bouchard est actuellement présidente-directrice générale de TV5 Québec Canada, depuis 2016. Mais elle connaît bien le diffuseur public, après avoir occupé divers postes de direction à CBC/Radio-Canada dans les services juridiques, la planification stratégique et les affaires réglementaires, les services numériques ainsi que la musique.
Le diffuseur public a précisé mardi que la nomination de Mme Bouchard était «le résultat d’un processus de sélection rigoureux, ouvert, transparent et fondé sur le mérite mené par le Comité consultatif indépendant des nominations au Conseil d’administration de CBC/Radio-Canada, en mars 2024».
Mme Bouchard, qui devient la première femme francophone à occuper les fonctions de PDG du radiodiffuseur public, faisait partie du comité consultatif mis sur pied en mai dernier par la ministre St-Onge pour moderniser le mandat de CBC/Radio-Canada, qui emploie plus de 7000 personnes issues «d’une multitude d’horizons et de cultures», selon son dernier rapport annuel. Les conclusions de cet examen n’ont pas encore été publiées.
Se distingue de Catherine Tait
Le professeur de journalisme Dwayne Winseck a noté que Mme Bouchard «sonne juste» en termes de son expérience de gestion au sein du radiodiffuseur public et de son investissement dans son avenir.
Néanmoins, il a prévenu que Mme Bouchard devra créer «une eau bleu clair» entre elle et Catherine Tait, qui, selon lui, laisse derrière elle un héritage troublé et «a fait preuve d’une certaine sourde oreille».
Le fait que Mme Tait réside à l’extérieur du Canada, à New York, est «une très mauvaise image pour la directrice de la CBC» et «cela n’aurait jamais dû se produire», a pointé M. Winseck, qui enseigne à l’Université Carleton. En revanche, Mme Bouchard vit au Québec.
M. Winseck a ajouté qu’il ne croyait pas que Mme Tait avait «une grande vision de la CBC pour aider à motiver les gens» et qu’elle était restée largement à l’écart des projecteurs. «Elle a essayé de garder la tête basse pendant trop longtemps et elle ne l’a fait que ces deux dernières années lorsque des choses comme ces primes étaient en jeu, ce qui me semble assez égoïste.»
Lors d’une audience du comité du patrimoine de la Chambre des communes lundi, Catherine Tait a défendu le fait de dépenser plus de 18 millions $ en rémunération au rendement du personnel cette année, malgré le licenciement de 141 employés et la suppression de 205 postes vacants dans un contexte de déficit budgétaire.
Elle a expliqué qu’elle croyait que les membres du comité parlementaire du patrimoine avaient utilisé ses apparitions pour «vilipender» et «discréditer» à la fois elle et le radiodiffuseur public.
Elle a aussi repoussé les demandes des conservateurs de renoncer à un plan de sortie financier, y compris des primes, lorsqu’elle quittera ses fonctions en janvier.
Regagner la confiance du public
Peter Menzies, chercheur principal à l’Institut Macdonald Laurier et ancien vice-président du CRTC, a affirmé que le plus grand défi de Mme Bouchard sera de «bâtir la confiance» au sein de la CBC/Radio-Canada et du grand public.
«La confiance du public a été un problème ces dernières années pour les médias en général, mais cela a été particulièrement difficile pour la CBC du côté anglophone, car elle a réussi d’une manière ou d’une autre à se laisser devenir un enjeu politique», a-t-il analysé.
«La CBC est devenue un sujet de dérision populaire pour de nombreux partisans conservateurs. Si vous voulez réchauffer la foule pour un rassemblement du Parti conservateur, entrez simplement et criez »Définancez la CBC! » et la salle s’anime immédiatement.»
Selon M. Menzies, la meilleure façon pour Mme Bouchard de rétablir la confiance envers CBC/Radio-Canada est de mettre en œuvre des changements importants dès maintenant. Il suggère de «réduire» les niveaux de gestion du radiodiffuseur.
«La CBC est connue pour avoir plusieurs niveaux de gestion, et c’est là que la controverse sur les primes entre en jeu, a-t-il dit. C’est une mesure qui attirerait vraiment l’attention des gens: »CBC met à pied 500 gestionnaires ». Ou peut-être qu’il existe une nouvelle façon de financer que le gouvernement et le mandat proposent et qui attire l’attention des gens.»
Annick Forest, présidente de la Guilde canadienne des médias, a déclaré qu’elle espère que Marie-Philippe Bouchard aidera Ottawa à faire la transition du radiodiffuseur public vers un modèle de financement à long terme. Le financement est actuellement alloué sur une base annuelle dans le cadre du budget fédéral.
«CBC/Radio-Canada doit avoir accès à un financement stable et à long terme pour poursuivre ce travail précieux», a soutenu Mme Forest dans un communiqué mardi, faisant écho à un appel similaire de Dwayne Winseck.
Comme de nombreux radiodiffuseurs, la CBC/Radio-Canada est aux prises avec une baisse des revenus publicitaires et une diminution de l’auditoire, alors que les plateformes numériques dominent de plus en plus le paysage médiatique. Selon le rapport annuel 2023-2024, les tendances de la dernière décennie montrent que ses auditeurs de télévision et de radio traditionnels «continueront de s’éroder à mesure que les jeunes Canadiens adoptent les technologies numériques».