Cancer: les traitements moins invasifs gagnent de plus en plus de terrain

MONTRÉAL — Les progrès réalisés au cours des dernières années permettent aujourd’hui aux médecins d’offrir à certains de leurs patients atteints d’un cancer des traitements moins invasifs et qui causent moins d’effets secondaires indésirables, mais qui sont tout aussi efficaces que leurs prédécesseurs.

Le séquençage du génome humain, au tournant du millénaire, et le développement fulgurant de l’immunothérapie, qui mobilise le système immunitaire du patient pour attaquer et détruire la maladie, semblent être les deux grands responsables de cet arsenal thérapeutique amélioré.

«Notre arsenal thérapeutique a complètement changé, a confié le docteur Élie Haddad, du CHU Sainte-Justine. On a un arsenal thérapeutique bien plus sophistiqué, bien plus précis, bien plus large, avec moins d’effets secondaires dans la majorité des cas.»

Cet arsenal thérapeutique, a-t-il ajouté, permet aux médecins de s’adapter aux particularités de chaque patient.

Cette capacité d’adaptation découle en bonne partie du séquençage du génome humain. Cela a permis aux chercheurs de brosser un portrait génétique complet non seulement du patient, mais aussi de sa tumeur, et de mieux comprendre «les différences entre des cellules cancéreuses et des cellules normales», a dit le docteur Claude Perreault, de l’Institut de recherche en immunologie et cancérologie de l’Université de Montréal.

Il n’y a pas deux cancers qui sont identiques, a rappelé de son côté le docteur André Veillette, de l’Institut de recherche clinique de Montréal. Même si on parle de deux cancers du sein ou de deux cancers de la prostate, «ce n’est pas la même chose».

«Ce sont deux maladies différentes chez deux patients différents, a-t-il résumé. Donc on doit avoir une idée complète de ce qui se passe chez ce patient-là, pour ensuite appliquer le meilleur traitement.»

Le docteur Fred Saad, un spécialiste du cancer de la prostate au CHUM, est plus modéré dans son évaluation de la situation.

Même si le séquençage du génome humain a permis de faire des choses «presque extraordinaires», a-t-il dit, ce ne sont pas tous les patients qui peuvent en profiter.

«Pour l’instant, est-ce que ça change quelque chose pour la majorité des patients? La réponse est non, a estimé le docteur Saad. Pour une minorité, ça a été extraordinaire, mais ça n’a pas révolutionné le traitement du cancer.»

Le cancer, rappelle-t-il, est «tellement intelligent» que même quand on pense avoir trouvé LE bon gène, il trouvera un moyen de contourner ce gène qu’on était en mesure de cibler pour trouver d’autres moyens de résister.

Et l’immunothérapie, malgré toutes ses contributions, ne dépendait en rien du séquençage du génome, a-t-il rappelé.

«C’est probablement une des plus grosses avancées des cent dernières années, mais on est encore embryonnaires dans tout le potentiel de développer des traitements et de les utiliser le plus tôt possible», a dit le docteur Saad.

Immunothérapie

L’immunothérapie arrive quand même en tête de liste des traitements qui sont disponibles aujourd’hui et qui ne l’étaient pas il y a seulement quelques années. «C’est le traitement le plus à la mode actuellement», a estimé le docteur Perreault.

À la base, a dit le docteur Veillette, le but de l’immunothérapie est de «réveiller» des cellules immunitaires endormies et de les envoyer au front affronter l’ennemi, «et on dispose d’outils de plus en plus performants pour les réveiller».

«On peut cibler les tumeurs avec des agents qui vont inactiver des gènes mutés, ou réveiller le système immunitaire autour des cellules cancéreuses, a-t-il indiqué. C’est ce qu’on appelle l’oncologie de précision, la médecine de précision, la médecine personnalisée… Ces deux choses-là ensemble font qu’on a de meilleurs traitements.»

Le docteur Haddad, du CHU Sainte-Justine, abonde dans le même sens et explique que les outils moléculaires et les outils diagnostics de précision dont on dispose aujourd’hui permettent de caractériser chaque cancer et chaque patient.

«On voit quelle est la mutation, quel est le principe qui fait que ce patient a un cancer, a-t-il dit. Et du coup, on se retrouve avec des éventails thérapeutiques bien plus élargis, bien moins toxiques. Et on rajoute à ça tout le panel de l’immunothérapie où (…) on va stimuler le système immunitaire pour qu’il règle son compte au cancer comme il aurait déjà dû le faire depuis le début, mais là on va l’aider.»

Les cellules cancéreuses, a dit le docteur Perreault, ont plusieurs faiblesses, mais elles ont aussi un super-pouvoir: celui de l’adaptabilité. Elles sont capables, a-t-il rappelé, de s’adapter beaucoup mieux que les cellules normales à la chimiothérapie, et le combat est constamment à recommencer.

«J’ai vu beaucoup de patients avec des cancers recevoir la chimiothérapie puis être de moins en moins sensibles à la chimiothérapie qu’on avait administrée, a-t-il dit. Par contre, je n’ai jamais vu un patient recevoir de la chimiothérapie et arrêter de perdre ses cheveux ou arrêter de voir ses globules blancs baisser.»

Des traitements moins agressifs

Les médecins réalisent aujourd’hui que certains de leurs traitements étaient inutilement agressifs, a dit le docteur Veillette, qui cite en exemple l’époque où une intervention pour un cancer du sein impliquait l’ablation du sein, des ganglions et même du muscle dans la paroi thoracique.

«Il y avait beaucoup de complications pour les femmes, a-t-il dit. Et aujourd’hui on se rend compte que ce type de traitement-là était beaucoup trop agressif.»

C’est la même chose pour le cancer de la prostate, a-t-il ajouté. Il y a vingt ans, on traitait ce cancer en enlevant la prostate, ce qui était associé à de multiples complications. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, l’homme aura le temps de mourir d’une crise cardiaque avant d’être emporté par son cancer.

«Si on détecte ça très précocement, les traitements sont beaucoup moins invasifs, beaucoup moins complexes et laissent beaucoup moins de séquelles que si on diagnostique plus tardivement», a souligné le docteur Saad.

Il cite aussi en exemple le cancer de la vessie. En cas de détection précoce, il pourra être possible de régler le problème en enlevant le cancer par les voies naturelles. Mais si le diagnostic survient plus tard, voire trop tard, il faudra peut-être retirer toute la vessie et administrer de la chimiothérapie. «C’est le jour et la nuit entre les deux», a dit le docteur Saad, qui martèle l’importance d’une détection et d’un dépistage les plus hâtifs possibles.

«Maintenant, on fait des scopies, donc on ne coupe plus pour ouvrir le thorax. Mettons pour les poumons, on essaie de faire des résections qui sont de plus petite taille, a expliqué le docteur Philippe Joubert, du Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. Au lieu d’enlever tout un lobe pulmonaire, on essaie de faire moins de pneumonectomies comme on en faisait beaucoup avant.»

La réalisation que certains traitements étaient trop agressifs et la disponibilité de nouveaux traitements très efficaces, comme l’immunothérapie, ont amené les médecins à réévaluer complètement la manière dont ils affrontent certains cancers.

Cela étant dit, a indiqué le docteur Veillette, «on ne devrait pas devenir paresseux puis se mettre à traiter tout le monde de façon insuffisante» sous prétexte de privilégier une intervention moins agressive.

«Il faut quand même voir chaque cas comme un cas différent et l’évaluer le mieux possible, a-t-il dit. On veut de plus en plus s’assurer qu’on donne le bon traitement au bon patient au bon moment, et éviter des règles que ‘tout le monde doit être traité de la même façon’.»

Éviter de démoniser la chimiothérapie

Il faut toutefois éviter à tout prix de démoniser la chimiothérapie, plaide le docteur Saad, et de conclure que tout ce qui est «nouveau est merveilleux» et que «tout ce qui est vieux est à mettre à la poubelle».

Il y a de cela plusieurs décennies, a-t-il ainsi rappelé, les jeunes hommes atteints d’un cancer du testicule mouraient à 25 ans.

«Mais ce qui fait que les jeunes hommes ne meurent plus d’un cancer du testicule, c’est la chimiothérapie, a dit le docteur Saad. On n’a encore rien trouvé qui arrive à la cheville de la chimiothérapie. On est rendus à 90 % de chances de guérison et il y a seulement la chimiothérapie qui est efficace.»

Et quand on parle du cancer de la prostate, poursuit-il, «l’immunothérapie (…) c’est un gros zéro, ça n’a pas prolongé d’une seule journée la moyenne de survie».

Face à plusieurs cancers, a rappelé le docteur Haddad, c’est encore la chimiothérapie qui offre le meilleur espoir de guérison et il est donc «légitime de commencer par ça».

«Si on parle d’un cancer de la thyroïde, ça serait fou de vouloir changer le traitement, a-t-il dit. C’est un cancer dont on guérit facilement dans la majorité des cas. On ne va pas réinventer la roue.»

La plupart des patients qui ont été guéris d’un cancer, renchérit de son côté le docteur Claude Perreault, l’ont été grâce à la chimiothérapie, «donc ça fait quand même quelque chose de bon».

Il ne faut pas non plus perdre de vue que des expériences réalisées sur des souris ont révélé que la chimiothérapie fonctionne uniquement chez les patients dont le système immunitaire est en bonne santé.

Il semblerait en effet que les cellules tumorales tuées créent une réaction inflammatoire qui attire les globules blancs. On pourrait donc presque parler d’une complémentarité entre la chimiothérapie et le système immunitaire.

«On présente (au système immunitaire) beaucoup de molécules étrangères dans un contexte inflammatoire, a expliqué le docteur Perreault. C’est comme si ça agissait comme un vaccin. Les succès de la chimiothérapie, dans le fond, sont dus aux réponses immunitaires qui sont déclenchées par la chimiothérapie.»

Lors d’une étude récente avec des patients atteints d’un cancer du côlon, des chercheurs ont ainsi constaté que l’administration de la chimiothérapie pendant que le système immunitaire était encore en bon état a entraîné une réduction de la taille des tumeurs chez 99 % des sujets.

Les résultats sont encore préliminaires, a prévenu le docteur Perreault, mais «chose certaine, les patients deviennent plus faciles à opérer et les tumeurs à enlever sont plus petites. C’est très impressionnant».

Les médecins ont aussi constaté qu’ils n’ont pas toujours à choisir entre l’immunothérapie et la chimiothérapie, a dit le docteur Veillette de l’IRCM, et aujourd’hui l’immunothérapie est souvent utilisée en combinaison avec la chimiothérapie, que ce soit avant ou après une intervention chirurgicale.

Il faut donc envoyer au rancart le discours qui prétend que la chimiothérapie est mauvaise et que tout le reste est merveilleux, estime le docteur Saad, du CHUM.

Les patients qui ont été traités en chimiothérapie sont souvent très vocaux quant aux effets secondaires pénibles qu’ils ont subis (et qui n’ont plus besoin d’être énumérés). Trop de patients débarquent ensuite en réclamant uniquement un traitement en immunothérapie, même si cela n’est pas approprié pour eux.

«Les patients blâment la chimio, mais souvent ils ne réalisent pas que c’est le cancer qui les malmène, a dit le docteur Saad. Un cancer qui ne répond pas à la chimio, c’est sûr qu’il fait des ravages, mais on blâme la chimio pour tout ce qui se passe. Mais pour certains cancers, c’est vraiment la chimiothérapie qui a eu le plus grand impact.»

Chroniciser le cancer

«On est en train de chroniciser certains cancers qui, avant, avaient de très mauvais pronostics et pour lesquels on n’avait pas grand-chose à offrir», a estimé le docteur Joubert.

On est en voie de faire de la maladie mortelle qu’est le cancer une maladie chronique qu’on pourrait comparer au VIH, a dit le docteur Saad.

«C’est le plus bel exemple d’une maladie qui était une condamnation à mort il n’y a pas si longtemps, et aujourd’hui, les gens qui l’ont mènent des vies presque identiques à ceux qui ne l’ont pas», a-t-il applaudi.

On devra un jour arrêter de dire qu’on doit guérir «tous les cancers», a ajouté le docteur Saad, puisque c’est une «impossibilité». D’autant plus, rappelle-t-il, que «la vie est une maladie mortelle et que nous sommes tous condamnés à mourir».

«Si on ne peut pas guérir quelqu’un, on souhaiterait le garder en vie, avec une bonne qualité de vie, tellement longtemps qu’il finira par mourir de causes naturelles», a dit le docteur Saad.

Tous les experts interrogés pour ce reportage s’entendent sur un point: l’avenir est prometteur, puisqu’on commence à peine à exploiter le potentiel de l’immunothérapie et de la médecine de précision.

«Et je vous annonce qu’on n’a encore rien vu, a ainsi lancé en conclusion le docteur Haddad. Quand je vais dans des congrès et qu’on voit ce qui va se passer dans trois ou quatre ans, ça m’arrive de regarder mes collègues et de leur dire, ‘mais pince-moi, je rêve, on est vraiment rendus là?’. C’est complètement dingue, la transformation.»