La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, ira en Chine vendredi
OTTAWA — La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, se rend vendredi en Chine à l’invitation de Pékin, après des années de tensions diplomatiques à la suite de la détention en 2018 de deux Canadiens.
Mme Joly a suggéré jeudi que cette décision répondait à un paysage géopolitique de plus en plus complexe.
«Le Canada est déterminé à s’engager de manière pragmatique avec un large éventail de pays pour faire progresser nos intérêts nationaux et défendre nos valeurs», a-t-elle affirmé dans une déclaration écrite.
La Chine a annoncé cette visite lors d’un point de presse, jeudi matin à Pékin, mais n’a pas précisé les thèmes spécifiques que Mme Joly aborderait avec son homologue chinois Wang Yi.
«Les deux parties auront une communication approfondie sur les relations sino-canadiennes et les questions d’intérêt mutuel et travailleront à l’amélioration et à la croissance des relations bilatérales», a déclaré le porte-parole Lin Jian, selon une traduction officielle.
La visite de Mme Joly fait suite à des déclarations de responsables canadiens, qui qualifient l’ingérence chinoise de plus grande menace stratégique pour le Canada.
Et les alliés du Canada au sein de l’OTAN ont critiqué Pékin la semaine dernière pour avoir posé des «défis systémiques» à la sécurité régionale en tant que «catalyseur décisif» de la guerre de la Russie contre l’Ukraine.
«Nous devons être prudents et lucides sur le fait que même si le ton à Pékin a changé, l’orientation stratégique globale de la relation n’a pas changé», a prévenu Vina Nadjibulla, vice-présidente à la recherche de la Fondation Asie-Pacifique du Canada.
Une annonce peu probable
Après la visite à Pékin, Mme Joly procédera aux escales précédemment prévues à Tokyo et au Laos.
La stratégie indopacifique du gouvernement, dévoilée en novembre 2022, présente la Chine comme «une puissance mondiale de plus en plus perturbatrice», mais avec laquelle le Canada doit s’engager compte tenu de son énorme poids économique et environnemental.
Jeremy Paltiel, professeur à l’Université Carleton, a dit qu’il n’attendait aucune annonce. Il a noté que le plus haut fonctionnaire de Mme Joly, David Morrison, s’était rendu à Pékin avant elle, mais que les deux pays «n’étaient pas parvenus à s’entendre sur ce qu’ils pouvaient signer ou dire».
Le Canada serait satisfait d’une visite «gardant la porte ouverte, a-t-il estimé. Peut-être que maintenant les Chinois réalisent que les portes ouvertes valent mieux que les portes fermées.»
Objectifs économiques
Il a noté que les réunions du comité central du Parti communiste chinois cette semaine ont mis l’accent sur la poursuite de la réforme commerciale à la suite de pressions de l’Union européenne et d’autres marchés.
«Du côté chinois, ils s’inquiètent de leur marge de manœuvre internationale, compte tenu de la détérioration des relations avec l’UE et les États-Unis, et de la perspective de voir (l’ancien président Donald) Trump se renforcer», a-t-il élaboré.
«Étant donné qu’Ottawa, et en particulier la ministre Joly, cherchent à reprendre le dialogue depuis un certain temps, je pense que la partie chinoise a décidé que c’était le moment de saisir l’occasion (…) avant que la porte ne se ferme au nez.»
Mme Nadjibulla a rappelé que cette visite intervient également dans le contexte où la Chine est confrontée à des dettes provinciales croissantes, à une crise immobilière et à une consommation atone.
«L’économie est confrontée à des vents contraires internes et externes majeurs, a-t-elle soulevé. D’une certaine manière, la Chine atténue sa diplomatie de guerrier-loup. Elle essaie de se réengager.»
Mme Nadjibulla a prédit que Mme Joly évoquerait probablement l’ingérence dans la politique canadienne et réitérerait ses préoccupations concernant la coercition économique et les affaires consulaires. Le trafic de fentanyl serait également une question importante à soulever.
La visite de Mme Joly pourrait épargner des représailles au Canada, a stipulé Mme Nadjibulla, comme une nouvelle restriction des importations de certains produits canadiens, notamment le porc et le canola.
En 2018, la Chine a arrêté les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor à la suite de l’arrestation à Vancouver de Meng Wanzhou, une dirigeante de l’entreprise chinoise Huawei, à la demande des autorités américaines.
M. Spavor a été reconnu coupable d’espionnage en 2021 par un tribunal chinois, après un procès à huis clos. M. Koving a lui aussi été jugé pour les mêmes motifs, mais aucun verdict n’a été annoncé dans son cas. Le Canada et de nombreux alliés ont affirmé que ce processus équivalait à une détention arbitraire sur la base de fausses accusations dans un système judiciaire déficient.
Les États-Unis ont conclu un accord de suspension des poursuites dans le cas de Mme Meng, permettant sa libération, et Pékin a autorisé les «deux Michael», comme on les appelait à l’époque, à rentrer chez eux en septembre 2021.
Un dialogue à restaurer
Le Conseil d’affaires Canada-Chine a reproché à Ottawa d’être un cas aberrant dans la restauration d’un dialogue de haut niveau avec les dirigeants chinois, soulignant que les pays pairs ont surmonté leurs relations tendues ces dernières années grâce à des visites ministérielles.
Le groupe a soutenu que le Canada peut encore soulever des préoccupations en matière de droits de la personne tout en stimulant le commerce. Pourtant, dans une enquête commandée l’automne dernier, 58 % des chefs d’entreprise canadiens interrogés ont déclaré que le risque que la Chine détienne arbitrairement du personnel affectait toujours négativement leurs opérations.
En août dernier, Pékin a exclu le Canada de la liste des destinations approuvées pour les groupes de touristes chinois, et l’ambassade de Chine à Ottawa a déclaré que cela était dû à des allégations d’ingérence «exagérées». Pendant ce temps, les Européens, mais pas les Canadiens, ont été autorisés à se rendre en Chine sans visa pour de courts séjours.