Le Projet Innocence Québec a amené deux dossiers judiciaires à être réévalués
MONTRÉAL — Le Projet Innocence Québec, un organisme à but non lucratif qui défend gratuitement les victimes d’erreurs judiciaires, a amené le ministère de la Justice à réévaluer deux affaires où des personnes avaient été déclarées coupables de crimes, dans les derniers mois.
L’organisme, au sein duquel oeuvrent des étudiants de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a conduit le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, à ordonner la tenue d’un nouveau procès dans l’affaire Claude Paquin, un homme qui avait été déclaré coupable de deux chefs d’accusation de meurtre au premier degré en 1983. En 1987, la Cour d’appel du Québec avait rejeté son appel, et en 1988, la Cour suprême du Canada avait rejeté sa demande d’autorisation de pourvoi.
Quelques mois plus tôt, en octobre 2023, le ministère de la Justice a renvoyé l’affaire M.R. à la Cour d’appel du Québec pour un nouvel appel. La personne en cause dans ce dossier, uniquement désignée par ses initiales, avait été reconnue coupable d’agression sexuelle sur une personne mineure en 2002.
Nicholas Saint-Jacques, chargé de cours au département des sciences juridiques de l’UQAM et vice-président du Projet Innocence Québec, a indiqué que des décisions du genre de la part du ministre de la Justice sont plutôt rares.
«On parle qu’environ au Canada, il y a un à deux dossiers par année dans lesquels le ministre de la Justice va octroyer une mesure de réparation», a-t-il indiqué en entrevue.
«Pour nous, réussir un dossier de cette nature-là, c’est effectivement une très grande victoire, a dit l’avocat. Dans la même année on a eu deux dossiers, ce qui est plutôt exceptionnel.»
Ramener un dossier dans lequel il y a déjà eu une condamnation devant les tribunaux n’est pas une mince affaire.
«Quand on parle d’erreur judiciaire, on parle d’un dossier dans lequel il y a eu une condamnation en première instance, il y a eu un appel à la Cour d’appel et il y a eu un appel à la Cour suprême du Canada. Et là plusieurs années plus tard, on découvre de nouveaux éléments de preuve qui remettent en question le bien-fondé du verdict ou l’équité du procès», a expliqué M. Saint-Jacques.
«Ce sont des dossiers qui ont cheminé dans le processus judiciaire pendant peut-être 10 ans, 12 ans, parfois 15 ans, et nous on prend le dossier plusieurs années plus tard et on travaille avec des étudiants.»
Puisqu’il s’agit de dossiers volumineux, la participation des étudiants est la bienvenue. Il s’agit aussi d’une occasion d’apprentissage concrète. Le Projet Innocence Québec est depuis 2006 un cours à l’UQAM, où les étudiants travaillent sur de vrais dossiers d’erreurs judiciaires, tout en étant chapeautés par un avocat.
«Ça les sensibilise (les étudiants) au droit criminel, également à l’importance de bien faire son travail comme avocat, parce que ce sont des futurs avocats qui vont pratiquer éventuellement, puis là ils voient qu’il y a des erreurs qui ont été commises par les avocats, par des juges, par les policiers également», a indiqué M. Saint-Jacques.
L’affaire Paquin
Le Projet Innocence Québec a récupéré en 2010 le dossier de Claude Paquin, qui concerne des faits survenus en 1978.
«Juste reconstituer le dossier, refaire le puzzle, c’est très très compliqué, parce qu’il y a des documents qu’on a perdus, il y a des documents qu’on retrouve, là on parle de plusieurs avocats qui se sont succédé dans le dossier. Donc retracer toute l’information, il y a des témoins qui sont morts, ça devient très compliqué juste à rebâtir le dossier. Ça nous a pris plusieurs années à justement trouver les morceaux qui manquaient, après ça refaire une histoire qui est cohérente, essayer de découvrir le pourquoi que M. Paquin est victime d’une erreur judiciaire», a détaillé l’avocat.
Le Projet a pu envoyer le dossier au ministre de la Justice en 2022, qui a ensuite transmis sa décision le 29 avril dernier.
«Le ministre de la Justice a déterminé qu’il y a des motifs raisonnables permettant de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Cette conclusion découle de l’obtention de la découverte de nouveaux renseignements importants qui n’avaient pas été présentés aux tribunaux lors du procès ou de l’appel de M. Paquin et qui remettent en question l’équité du processus», peut-on lire dans le communiqué du ministère de la Justice, diffusé à cette date.
M. Paquin se voit donc offrir un nouveau procès plus de 40 ans après sa condamnation. L’avocate Julie Harinen a commencé a travailler sur le dossier alors qu’elle était étudiante à l’UQAM, et a continué à s’y investir bénévolement une fois diplômée. M. Paquin a passé 18 ans en prison et il est présentement soumis à des conditions de remise en liberté.
Le dossier devrait revenir devant les tribunaux en septembre prochain. La Couronne doit évaluer son dossier afin de savoir si elle va de l’avant avec les accusations contre M. Paquin.
«Évidemment, c’est sûr que 40 ans plus tard, ce n’est pas la même situation. Il y a beaucoup de témoins qui ne sont plus là. Et dans le cas de M. Paquin, la preuve reposait sur le témoignage d’un délateur. Donc ce délateur-là, s’il ne collabore plus avec l’État, ce sera plutôt difficile de continuer un procès contre M. Paquin», a indiqué M. Saint-Jacques.
«Moi j’espère beaucoup que M. Paquin va pouvoir complètement mettre ça derrière lui», a-t-il dit.
Le Projet Innocence Québec est une initiative de l’étudiante Lida Sara Nouraie qui a vu le jour à l’UQAM en 2002. Mme Nouraie a été nommée juge à la Cour du Québec en novembre dernier, et a donc cessé son implication dans le projet à ce moment.